mercredi 11 avril 2012

UNE MAIN PLEINE DE GRENADES OU UNE MAIN PLEINE DE PIECES



Autant commencer tout de suite par vous rassurer : je n’ai pas changé de voie professionnelle pour une carrière dans l’armée, ni décidé de me faire vengeresse (implacable et énervée) face à des comportements injustes à mon encontre. Non. Ce titre fait simplement référence à un de mes précédents messages (voir « La quête désespérée de la grenade et…)

Pourtant, je vais aborder la question de la justice universelle, à mon niveau, c'est-à-dire à partir de petites choses qui  ensuite se transforment en ébauche de réflexion. Je vous laisserai en combler vous-même les possibles lacunes.

Il serait absurde de dire que la tension et le suspens étaient à leur apogée, mais, je n’attendrai pas la chute de cet écrit pour vous dévoiler qu’ENFIN, j’ai trouvé des grenades. Plus par hasard que par obstination car, pour tout vous dire, je n’étais pas venue en chercher. J’avais un plan de course bien établi, et pour cause, je déteste viscéralement les mégas-hyper-super-marchés, enfin tout ce qui dépasse la taille d’une superette, car j’y perds incroyablement vite patience et tout débordement me parait une perte de temps ;  et, pour appuyer encore mon propos, j’avais, littéralement accrochée à mes basques, une petite fille de 5 ans (la mienne). Au départ, j’avais simplement jeté un coup d’œil, pas bien loin des salades, mais quand on a des obsessions, on a des obsessions. L’entêtement a pris l’avantage sur la raison : j’ai saisi une grenade puis deux (je vais faire des réserves…enfin, j’essaie de me convaincre du bienfait de ce raisonnement). Bien entendu, tout cela va m’amener à des achats non planifiés et hypothétiquement perdre du temps dans un grand magasin. (En rentrant à la maison, je ne me souvenais même plus pour quelle recette ces grenades m’avaient parues indispensables, mais versatile comme je suis, j’en ai vite trouvé une, plus attrayante encore)
A la caisse, j’alternais les courses sur le tapis roulant et les coups d’œil à ma fille avec des « Mon cœur, ne t’éloigne pas ! »  Dès qu’elle faisait mine de lâcher (littéralement) ma veste en cuir, quand une odeur pestilentielle…oui …c’est le terme… s’est imposée à moi. Je n’ai pas immédiatement compris d’où elle venait. Pour être honnête, je trouve que dans ce genre de lieu on ne pense plus, si ce n’est trouver la sortie la plus proche. C’est en voyant les gestes maladroits et la main pleine de petites pièces du monsieur derrière moi que j’ai su que cette odeur, cette main et ces gestes étaient liés.  Le fait qu’il avait acheté bien peu de chose, dont une vague bouteille de vin, sa tenue et son  regard dans le vague auraient dû me mettre sur la voie. Pourtant, non. Est-ce que cela est devenu suffisamment courant pour que cela ne m’étonne plus ?
Le temps que je paie, que je finisse d’empaqueter mes affaires et que je répète pour la 22ème fois à ma fille de « ne pas s’éloigner », il était devenu évident que ce qu’il avait dans la main n’allait pas suffire à payer…quoi ? Presque rien…Une impulsion m’a fait chercher mon porte-monnaie et dans ma tête résonnait déjà la question « combien est-ce qu’il manque ? »… Et à la place je me suis souvenue que j’avais oublié de faire valider mon ticket de parking. Alors, je l’ai tendu à la caissière qui paraissait impatiente que le monsieur parte, j’ai pris ma fille par la main et je suis partie.

Je veux dissiper un possible malentendu : je ne porte aucun jugement de valeurs sur le comportement ou l’attitude de la caissière.  Je ne fais pas son boulot, je ne l’ai jamais fait alors je ne peux pas donner mon avis, il serait bien mal placé.  

Sur le trajet du retour, je me suis interrogée sur les raisons qui avaient avorté mon geste. Vous répondrez que je suis tout simplement égoïste ou que l’on ne peut pas donner tout le temps et à tout le monde. Si on prend cela au pied de la lettre, ce n’est évidemment pas possible. La première hypothèse n’est pas juste non plus si j’en crois les personnes qui m’apprécient et ma propension à donner une pièce ou deux à une main tendue, surtout quand l’autre tient un chat ou un chien (ce qui  me met parfois dans des situations embarrassantes quand, par exemple, je n’ai même plus de quoi payer 10 minutes de parking). Je ne veux pas non plus « trop donner » car cela me ramène au comportement de quelqu’un qui me faisait honte. Je l’ai vu vider des porte-monnaie face à des personnes incapables de le reconnaitre 5 minutes après.  Je sais que mon esprit a été traversé par le fait que j’allais paraitre ridicule aux yeux de la caissière…pourtant, la générosité est un comportement que je valorise.  Vous me direz peut-être que j’ai pensé beaucoup de choses pour quelqu’un qui était « incapable de penser ». Mais, cette idée a été furtive,  et elle a certainement suffit à déterminer mon comportement.
Je ne cherche pas ici à démarrer une psychanalyse ou une analyse approfondie. En fait, le temps que tout cela tourne et retourne dans ma tête, je suis arrivée à la simple conclusion que je voulais comprendre ma décision pour pouvoir  au mieux l’adapter plus tard. Les personne qui ne donnent jamais rien ou donnent tout ce qu’elles ont n’existent pas. Mais alors, où placer le curseur pour être en paix avec soi-même ?  Est-ce qu’on donne par pure générosité ou simplement pour se donner bonne conscience ? Vous savez comme moi que ce type de réponse n’est pas satisfaisant…  Nos actes sont fortement influencés voire déterminés par les situations  dans lesquelles nous nous trouvons. Nous avons tous des valeurs dont les origines sont multiples. Le fait de donner peut avoir  une connotation totalement positive (c’est un principe commun aux religions) ou totalement négative.
Est-ce qu’il y a une vérité absolue ?  Mon sentiment est qu’il n’y a de vérité que pour soi. Y mettre un principe universel est une illusion.

Puis,  un signal sur ma voiture m’indiquant qu’une porte était mal fermée a obnubilé mon esprit. Et ceci bien plus longtemps qu’il me m’en avait fallu pour me poser ces deux ou trois questions.
 

Plus tard, en rangeant mes courses, j’ai repensé au prix de mes grenades. De chacune. Et des deux ensembles. Et je me suis de nouveau posé ces mêmes questions…moi, qui avait cette chance d’avoir la main pleine de grenades.


8 commentaires:

  1. J'ai donné beaucoup, je donne moins, je donne encore hein mais moins..... nous sommes tellement sollicités que le fait est que je donne moins, c'est sûr....et ça dépend de plein de choses, du contexte, de ton état, du demandeur....
    ne te torture pas l'esprit ma Laure, tu es un grand coeur, il n'est plus besoin de le dire.... donne quand la situation se presente.... on sait toutes, et toi aussi, que le don quel qu'il soit, fait partie de toi.... je connais des gens qui diront: "je ne leur donne pas de poissons, je les apprends à pécher"..... nous, nous faisons partie des gens qui donnons du poissons, il en faut.... il faut de tout, pour l'équilibre....

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    1. Merci pour tes mots...plein de sagesse ! j'aime beaucoup cette idée que le don fait partie de soi...
      Je suis du genre à préférer "apprendre à pêcher" car je n'aime pas que les autres soient dépendants et une personne qui sait pêcher va plus loin...mais face à des situations comme celle que j'ai décrite, la tâche est...(presque) insurmontable

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  2. déjà que tu aies pensé à lui donner quelquechose prouve que tu es quelqu'un de bien... on ne peut pas donner à tout le monde et surtout on ne doit pas se sentir obligé... moi je donne de temps en temps mais même si je ne donne pas je ne détourne pas le regard et je salue la personne...

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  3. ... Laure ... il y a toujours ... au fond de mes poches ... quelques pièces qui tintent ... et toujours ... au gré de mes déplacements en ville ...elles trouvent un ou une destinataire ... ce sont des pièces d'un euro ... jamais je ne les compte et elles sont toujours bien acceuillies ... par un sourire ou un merci ... parfois les deux ... simple échange naturel ... entre deux mains ... une qui possède assez que pour donner un peu ... et une autre un peu plus vide ... voilà ... ce n'est pas compliqué ...

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  4. tres beau texte plein d'humanité, comme toi je donne de temps en temps..pas tout le temps, on ne peux resoudre les miseres de tout le monde (on m'en a deja fait la lecon)... mais qqfois, on ne peut pas faire autrement...quand je vois qq fouiller une poubelle parce qu'il a faim, quand je vois qq grelotant sur le trottoir en hiver avec son chien (je suis meme allee acheter des couvertures pour le jeune homme et son chien), je sais que ce fait ne resoudra que le moment T de la journee et que ça ne solutionnera pas le probleme fondamental...quelle societe permet que tout cela arrive ? une maladie? un licenciement ? tout est possible a basculement, cette bascule qui fait que tu tombes..plus bas, plus bas...je suis aussi pour le fait qu'il faut apprendre a pecher plutot que de donner du poisson...c'est entierement vrai, mais le poisson donné peut rendre une lueur d'espoir ....et peut etre le chemin d'un nouveau depart..je pense qu'il faut un peu des 2

    vero

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  5. Je comprends ton questionnement, je le partage. Le curseur n'existe pas. Il est très dépendant de ce qu'ils appellent en Néerlandais la carte de référence de chacun. Ton expérience , tes propres désirs projetés...
    Au fond l'important c'est de le faire non ? Peu importe les raisons les pourquoi : cela nous rends humain, vivant. On oublie pas ses racines. Se sentir coupable, touchée , cela veut dire ton cœur pompe encore ;-).
    Je trouve beau rien que le fait que tu t'interroges là dessus...

    LuluPoudre

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  6. Il y a quelques années, en repartant du supermarché, ma voiture ne voulais plus démarrer. 2 messieurs sont venus me proposer leur aide, que j'ai accepté, et ont reussi à la faire démarrer. On a discuté un peu et je suis partie. Quelque temps plus tard, un monsieur sonne à ma porte pour me proposer d'acheter un journal ... C'était le journal des sans abri ... et ce monsieur était l'un de ceux qui m'avait aidé avec ma voiture ... Depuis, on se croise dans la rue et on se parle ... et je lui prends toujours son journal quand il sonne à la maison :-)

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  7. Hier, en allant au cinéma nous avons croisé une fille (avec deux chiens) qui nous demandé quelques pièces...j'ai donné ce que j'avais..ce n'était pas grand chose mais elle a eu un beau sourire...finalement, c'est moi qui en ai reçu le plus...

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